L'enfermement au prisme des sciences sociales
16-19 oct. 2013 Pessac - Bordeaux (France)

L’enfermement au prisme des sciences sociales : Rapprocher les lieux, confronter les approches.

Appel à Contribution TerrFerme2013


Défini par une clôture matérielle et des rapports de pouvoir oscillant entre domination et subversion, l’exercice d’une contrainte par l’enfermement se décline en une variété d’espaces et d’institutions. La liste des lieux qui l’incarnent ne saurait être exhaustive : établissements psychiatriques, centres éducatifs fermés, centres de demandeurs d’asile et camps de réfugiés, maisons de retraites, espaces pénitentiaires, centres de rétention pour étrangers en attente d’expulsion, logements pour main-d’œuvre étrangère, etc. Les formes contemporaines de gouvernement des populations par l’enfermement, du moins dans les pays occidentaux, sont marquées par un quadruple mouvement : l’ouverture de certains lieux (voire notamment la diminution du nombre de lits en hôpital psychiatrique et le développement concomitant de la psychiatrie de secteur) ; la multiplication et la spécialisation des types de lieux et de « prise en charge » (par exemple face aux migrations, à la maladie mentale, à la délinquance juvénile) ; la diversification des formes de contrôle à travers la mise en place de solutions dites alternatives (dont la surveillance par bracelet électronique ou l’assignation à résidence) ; enfin, l’implication croissante d’acteurs privés dans le contrôle et l’assistance déployés. Ces dynamiques, d’intensité variable selon les institutions et les contextes nationaux, donnent autant à voir l’existence de processus transversaux aux différents lieux que le maintien de leurs particularités et d’héritages propres à chacun d’entre eux.

Dans le même temps, la littérature académique sur ces diverses formes d’enfermement ne cesse de prendre de l’importance et de se diversifier, nourrie par l’implication d’un nombre croissant de disciplines. Elle apparaît parfois spécialisée sur un type exclusif d’institution : sociologie de la prison et de la psychiatrie, études des migrations internationales, histoire de l’habitat, du logement ouvrier ou social… Elle peut aussi résulter de traditions scientifiques émanant de diverses aires culturelles, d’ailleurs très inégalement étudiées. Pourtant, un certain nombre de ces recherches suggèrent aujourd’hui que l’on peut développer des objets de réflexion transversaux, voire mettre en évidence des traits communs aux lieux clos : l’existence de rapports de pouvoirs entre forces de l’ordre et enfermés, ou encore le rôle du confinement dans la production, reproduction et stabilisation de catégories visant à ordonnancer des formes de déviance que l’enfermement a pour vocation de contrôler, réguler ou réprimer. Le rapprochement analytique (et géographique) des institutions de privation de liberté nous semble aujourd’hui inviter à interroger la manière dont ces transversalités sont ou non travaillées dans la littérature disponible sur l’enfermement. La richesse de la pensée goffmanienne a souvent conduit les recherches en sciences sociales à appréhender l’enfermement au prisme de l’ « institution totale », et les travaux de Foucault ont durablement transformé et complexifié la compréhension des rapports de pouvoir (en particulier dans le contexte carcéral). Mais on peut aussi se demander en quoi la mobilisation quasi-systématique, dans les recherches sur le confinement, de ces deux auteurs (dont il ne s’agit en aucun cas de fondre dans un même mouvement les apports respectifs) a éventuellement pu conduire à privilégier certains angles d’analyse au détriment d’autres.

Ce colloque se propose donc de réfléchir aux apports de la mise en perspective de différents types d’espaces clos. Que produit ce mouvement de rapprochement des regards analytiques sur le confinement, à quoi sensibilise-t-il ? Quelles sont les facettes de l’enfermement qu’il permet d’éclairer et qui restent peu analysées par les champs spécialisés ? Ce questionnement pourra se décliner en plusieurs grands domaines d’investigation, dont l’exploration nous semble pouvoir profiter du dialogue entre les recherches sur les diverses institutions fermées.


1-     Espaces et relations de pouvoir

Les relations de pouvoir au sein des établissements de privation de liberté sont l’une des thématiques centrales des recherches sur l’enfermement. Dans la lignée des travaux goffmaniens sur les institutions totales, nombre d’analyses se sont concentrées sur les relations de pouvoir entre individus enfermés et représentants de l’institution, au risque d’une lecture dichotomique de l’espace fermé opposant d’une part reclus en situation de « servitude », de « dépendance » et de « dépossession de soi » et, d’autre part, membres du personnel monopolisant le savoir, le pouvoir et la liberté. L’intérêt porté par Goffman aux « adaptations secondaires » a cependant permis de complexifier une lecture manichéenne des relations de pouvoir en milieu fermé en s’intéressant aux techniques par lesquelles les personnes enfermées tentent de contourner ou réfuter les assignations de rôle que prévoit l’institution à leur endroit.

L’espace, entendu, en sociologie ou en géographie notamment, comme élément constitutif du social, peut être une entrée pertinente pour renouveler la réflexion sur la dynamique de ces relations de pouvoir. Sa dimension construite est fréquemment analysée par la sociologie de l’architecture, qui questionne l’utilisation de l’espace comme instrument de contrainte. Il reste encore à approfondir comment l’espace, dans ses multiples dimensions (perçu, représenté, symbolique, vécu, approprié, mis en scène et instrumentalisé), est tout à la fois un enjeu central des rapports de pouvoir caractéristiques de l’enfermement, et un vecteur de leur remise en cause. Le colloque interrogera en outre les échelles du lieu de privation de liberté, qui se fractionne en de multiples niveaux jusqu’aux objets et corps des enfermés. Comment l’espace participe-t-il de multiples logiques d’appropriation, de contournement, de déni, voire de remise en cause de l’autorité institutionnelle ? L’un des objectifs sera donc de creuser les interactions entre espace et pouvoir au sein des lieux fermés, et plus largement dans les rapports sociaux entre enfermés d’une part, et entre enfermés et non enfermés (dont les représentants de la société civile) d’autre part.

 

2-     Acteurs et institutions du contrôle : privé vs. public

Les institutions fermées ont souvent été appréhendées par les recherches existantes comme l’expression d’un pouvoir régalien de l’État sur ses sujets. Un nombre croissant d’entre elles implique aujourd’hui des acteurs privés. Ainsi, les États européens délèguent de plus en plus souvent à des sociétés privées la construction, la maintenance et la surveillance d’établissements pénitentiaires ou de centres de rétention pour étrangers en situation irrégulière. Le fonctionnement de certains lieux, appréhendés dans le cadre de ce colloque, est plus étroitement lié encore aux acteurs privés : c’est le cas notamment des logements pour travailleurs migrants, qui appartiennent en général à des entrepreneurs privés (que ceux-ci soient directement les employeurs de la main-d’œuvre, ou qu’ils soient spécialisés dans la construction et la gestion des logements de travailleurs). Si la sociologie de la sécurité privée a connu un réel essor au cours des vingt dernières années, ce colloque sera l’occasion de revenir sur la dichotomie public/privé, afin d’analyser ses éventuelles répercussions sur les rapports de pouvoir qui prévalent en situation de privation de liberté. La question des formes du contrôle (privé/public), de leur délégation ou externalisation sera également posée, au vu de procédures de désengagement de l’État constatées ici et là. Qui enferme, pour quoi et pour qui ? L’exercice de la contrainte sur les publics visés et la mise en œuvre du confinement peuvent a priori sembler plus évidents dans le cadre d’établissements dont la mission a été définie par la force publique et passe explicitement par un recours à l’enfermement contraint (la prison, la garde-à-vue, le centre de rétention, l’hôpital psychiatrique, etc.). Mais l’existence de lieux dont le fonctionnement n’est pas soumis à l’autorité étatique invite à questionner le rôle de la puissance agissante, publique ou privée, sur la conception et les formes d’enfermement mises en œuvre. Ce questionnement revêt une importance particulière dans un contexte où les lieux de privation de liberté investis d’une mission étatique de contrôle des populations sont de plus en plus placés sous le regard d’acteurs tiers (ONG, associations, instances de contrôle nationales et supranationales, etc.) : il convient également d’interroger l’impact de cette constellation sur les formes d’accompagnement des populations enfermées ainsi que sur les dynamiques d’ouverture et de fermeture de l’institution.

 

3 -     Trajectoires, circulations, mobilités

La sociologie américaine de la prison a mis en lumière, depuis les années 1960, la nécessité d’envisager les établissements carcéraux dans leurs relations à l’extérieur, à leur environnement. Cette position, largement reprise dans la recherche francophone, invite à considérer les lieux de réclusion non comme des « isolats », mais comme les pièces d’un tissu social dépassant largement les murs de l’institution. L’un des apports majeurs de la sociologie carcérale récente réside dans l’étude de l’inscription du passage en prison dans le parcours socio-biographique des détenus et de la manière dont ce parcours influe sur l’expérience de l’enfermement, et réciproquement. Par la suite, les travaux consacrés au confinement des étrangers ont souvent permis d’étendre cette perspective non seulement au parcours biographique des retenus mais aussi à leurs trajectoires spatiales. Dans la lignée de ces tentatives de « décarcéralisation » de la focale d’analyse, les contributions proposées ici chercheront à analyser les effets des déplacements sur l’enfermement. Elles pourront identifier les types de mobilités liées à la réclusion et les enjeux qui les sous-tendent : les trajectoires migratoires et leurs inflexions liées aux passages dans des lieux de privation de liberté, mais aussi les déplacements liés à la prise en charge du quotidien et des corps enfermés, à l’intérieur des lieux de confinement (visites au parloir, déplacements vers les réfectoires, etc.) comme à l’extérieur (déplacements au tribunal, à l’hôpital…). Il s’agira aussi de s’interroger sur les acteurs qui circulent et ceux qui font circuler. Comment les autorités, tout comme les enfermés, peuvent-ils faire de la mobilité entre les lieux, mais aussi à l’intérieur des lieux, un instrument de pouvoir et/ou de savoir ? Peut-on penser l’obligation de mobilité comme une nouvelle forme de contrainte spatiale, par exemple dans le cas des transferts contraints (d’un établissement à l’autre, ou d’un pays à l’autre…), ou encore de certaines injonctions au déplacement à l’intérieur des établissements fermés ?

 

4 -     Les institutions d’enfermement à l’épreuve des inégalités

Alors que différents courants de recherche en sciences sociales ont récemment appelé à interroger le rapport des institutions publiques aux inégalités, ethniques et religieuses notamment, cette question apparaît assez peu travaillée par la littérature sur l’enfermement. Le rapprochement de différents types de lieux clos offre l’opportunité de questionner les représentations institutionnelles des inégalités et leur éventuelle problématisation, par les acteurs du contrôle, dans les interactions quotidiennes avec les enfermés. Sera examinée l’hypothèse selon laquelle les institutions de privation de liberté participent à la construction des rapports sociaux de race/ethniques, de nationalité, de religion, d’âge ou de genre. Autrement dit, il s’agit de renseigner les effets de l’ « altérité » (ou de sa construction par l’autorité) sur les mécanismes institutionnels de contrôle, de prise en charge ou d’accompagnement déployés au sein des lieux fermés, voire sur la façon dont les personnes enfermées résistent aux processus de confinement.

 

5-     Société civile et enfermement : gouvernement des lieux, production et circulation des savoirs

Depuis plusieurs décennies, les associations et ONG sont des acteurs incontournables d’un nombre important de lieux de privation de liberté. Cette intervention s’inscrit fréquemment dans un double mouvement de légitimation de la puissance publique (l’intervention des acteurs associatifs est souvent présentée par les instances enfermantes comme gage de transparence et de « bonnes pratiques ») et de contestation du dispositif d’enfermement (à travers par exemple la mise en œuvre d’une assistance juridique permettant de questionner la légitimité de l’enfermement des étrangers). Ce double registre dans lequel s’inscrit l’intervention associative invite donc à questionner la participation de la société civile au gouvernement des lieux d’enfermement et notamment aux formes de son renforcement, de sa mise à l’épreuve, mais aussi de ses éventuels déplacements. Cette implication de la société civile produit également des effets sur la production et la circulation de savoirs critiques sur le confinement. Les rapports des acteurs associatifs ont parfois directement été à l’origine du déploiement de travaux de recherche, relatifs par exemple aux conditions de vie des détenus dans les établissements carcéraux, des étrangers maintenus aux frontières, ou encore des travailleurs migrants confinés dans des campements. Ces acteurs associatifs produisent non seulement des informations de première main, mais s’inscrivent aussi dans une forme de recherche-action remplissant un rôle critique de (contre-)pouvoir. Par ailleurs, pour accéder au lieu fermé lui-même, de nombreux chercheurs passent par des associations et des ONG, démarche qui les place de facto dans une posture d’involvement ou detachement, selon la terminologie de Norbert Elias. Cet axe de réflexion visera donc aussi à interroger les formes de passage entre monde associatif et recherche sur la privation de liberté. Quelles sont les bases de la collaboration entre les chercheurs et le monde associatif, notamment au moment de l’enquête ? Alors que les liens établis sont parfois étroits et pérennes, comment leurs visées respectives (production de savoirs d’un côté, démarche opératoire de l’autre) se combinent-elles ? Quelles conséquences ont-elles sur l’appréhension de l’enfermement par les chercheurs, ainsi que sur les interventions des acteurs associatifs et humanitaires ?

Les contributions proposées dans le cadre de cet appel s’intéresseront donc, dans une perspective historique ou contemporaine, à ce que le rapprochement des travaux sur l’enfermement produit en termes de compréhension des rapports de pouvoir dans les lieux de privation de liberté - et ce plus précisément à partir des dynamiques spatiales, circulatoires, institutionnelles et de gestion de la diversité qui les travaillent. Les communications proposant une approche empirique de ces institutions seront privilégiées, et les contributions collectives avec une dimension comparative entre différents types d’enfermement seront particulièrement appréciées.


Ce colloque clôture le programme de recherche TerrFerme (Les dispositifs de l’enfermement. Approche territoriale du contrôle politique et social contemporain) financé par l’ANR et le Conseil Régional d’Aquitaine (http://terrferme.hypotheses.org/). Il ne s’intéresse pas seulement aux trois types d’espaces appréhendés par l’équipe (prisons, centres de rétention et logements contraints de travailleurs migrants), mais à une liste ouverte d’institutions de privation de liberté. Sensible à différents contextes et terrains d’étude (régimes autoritaires ou démocratiques, pays développés ou en développement), il cherchera à favoriser le dialogue entre disciplines et traditions nationales de recherche sur l’enfermement.

Les langues de travail du colloque seront le français et l'anglais.

Pour toute information, écrire à colloqueterrferme2013@gmx.fr

   

Contributions

Les propositions de contribution comporteront les éléments suivants :

- le titre de la communication ;

- le nom et prénom du ou des auteurs, leur institution ou association de rattachement (s’il y a lieu), leurs coordonnées complètes (adresse mail, adresse postale, numéro de téléphone) ;

- le résumé de la communication (3.000 signes), qui identifiera clairement a) l’argument central de la proposition, b) la méthodologie employée pour la recherche, et c) les principaux résultats présentés.

Les propositions (en français ou en anglais) devront nous parvenir sous format .rtf à l’adresse colloqueterrferme2013@gmx.fr avant le 1er février 2013.
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